Les tontons flingueurs (Georges Lautner 1963) qu’on ne présente plus est un film culte pour plusieurs générations de spectateurs. Aujourd’hui vénéré par certains de la génération post 68, il ne fait plus autant recette chez les nouveaux spectateurs.
Film référence pour ses dialogues (Michel Audiard au sommet), son ton nonchalant (parodie des films de gangsters), sa mise en scène décalée (Georges Lautner) ses acteurs populaires d’antan (Lino Ventura, Bernard Blier, Jean Lefevre, Robert Dalban) , un noir et blanc sompteux (photographie de Maurice Felous), une musique (Michel Magne) et des bruitages “comiques et farfelus”, “les tontons” se récite comme une poésie et se déguste plusieurs fois.
Mais il connaît pas Raoul, ce mec ! il va avoir un réveil pénible. J’ai voulu être diplomate à cause de vous tous, éviter que le sang coule. Mais maintenant c’est fini, je vais le travailler en férocité, le faire marcher à coup de lattes ! À ma pogne, je veux le voir ! Et je vous promets qu’il demandera pardon, et au garde-à-vous !
(Raoul Volfoni)
Non mais t’as déjà vu ça ? En pleine paix ! Il chante et puis crac, un bourre-pif ! Il est complètement fou ce mec. Mais moi, les dingues, je les soigne. Je vais lui faire une ordonnance, et une sévère… Je vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins de Paris qu’on va le retrouver, éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus : je dynamite, je disperse, je ventile !
(Raoul Volfoni)
Pour illustrer, 2 scènes cultes : “scène de la petite réunion” et “la scène de la cuisine”
“scène de la petite réunion”
(Après le décès du “Mexicain” Raoul Volfoni organise une “petite réunion” sans en informer Fernand Naudin)
(ou Raoul Volfoni part très déterminé chez Fernand Naudin pour récupérer son oseil).
Quelques infos sur la scène de la cuisine (Guillaume Loison (Journaliste))
1. Où est et quand fut tournée la scène ?
Fin avril 1963, dans un pavillon de Rueil Malmaison que la Gaumont réservait à ses tournages low cost – dont faisait partie le projet “Tontons…”, composé d’un casting de seconds couteaux de l’époque (même Ventura) et d’un réalisateur fraichement salarié du studio, que les cadres de ce dernier désignaient lui et son équipe de “ptits cons“. La cuisine faisait quatre mètres sur trois – pas terrible pour les déplacements de caméra. Maurice Fellous, chef opérateur du film et présent lors des repérages, parle de la maison comme d’une “villa de quat sous“.
2. Qui était autour de la table ?
Bernard Blier (Raoul Volfoni), Francis Blanche (maître Folace), Robert Dalban (Jean, le majordome) et Jean Lefebvre (Paul Volfoni). Sans oublier le chef de la bande, Fernand Naudin alias Lino Ventura. Au départ, l’équipe a conçu le rôle pour Jean Gabin, qui après avoir dit banco au scénario, finit par retirer ses billes, au motif que Lautner refuse d’engager l’équipe de techniciens avec laquelle il travaille habituellement. Le réalisateur, également fidèle envers son propre staff, n’entend pas faire exception pour ce film. Lautner et surtout Audiard pensent alors à Lino Ventura. Choix logique et naturel : l’ex catcheur s’était déjà fait remarquer en 1954 avec un second rôle dans “Touchez pas au Grisby” (son premier film) aux côtés du monstre sacré. Par ailleurs, le film de Jacques Becker est déjà une adaptation d’un roman d’Albert Simonin, co-scénariste et adaptateur de son propre livre (“Grisby or not Grisby”) sur “les Tontons…”. Pas très en confiance avec son propre jeu, Ventura craint de saboter la dimension comique du film. Mais Lautner est conquis par sa recrue et plus encore. Dans le reportage “Un film et son époque” diffusé sur France 5 et consacré aux “Tontons…”, il compare Ventura au personnage du Grand Meaulnes, le voit comme “une force gentille, rassurante.”
3. Que contenait la bouteille ?
Pour Lautner, “de l’eau teintée avec du thé“. C’est du moins ce qu’il a assuré au Point, qui par ailleurs, relaie la rumeur selon laquelle le seul Jean lefebvre aurait eu droit à une décoction particulière préparée par Francis Blanche. Pas de pomme ni de betterave, mais de l’alcool de poire et du poivre – d’où la fameuse larmichette de l’acteur, non simulée. Mais d’après le réalisateur, la distribution est restée sobre pour le tournage de la scène. Dessinée par Lautner lui-même, l’étiquette du tord-boyau fait mention d’une marque de whisky fictive – “The Three Kings”. La bonbonne a elle été achetée dans une épicerie de village.
4. Pourquoi cette scène ?
Retirée du scénario par Audiard qui craignait que cette compilation de dialogues affecte le rythme du récit, elle a été rajoutée par Lautner pour deux raisons majeures. La première est d’ordre purement pratique. Une bonne beuverie à l’ancienne permet d’expliquer comment Raoul (Blier) qui voulait au départ “éparpiller” Fernand (Ventura) “façon puzzle” finit par se rallier à ce dernier. La chaleur de l’alcool estompe les conflits d’intérêt et fait apparaitre des affinités et autres expériences communes : Lulu la Nantaise, l’Indochine, la deuxième guerre mondiale, trauma majeur pour la génération des quadras-quinquas des années 60 – dont Ventura qui déserta l’armée italienne, ou Blier qui a perdu 27 kilos après ses années de captivité… La seconde raison est d’ordre cinéphile, Lautner voulant par là rendre hommage à “Kay Largo” de Huston qui comporte une séquence de confessions entre truands à peu près similaire. A son tour “Les Tontons flingueurs” – et cette séquence notamment – tiennent une place d’honneur dans le panthéon personnel de Quentin Tarantino qui n’est jamais caché s’être inspiré du film de Lautner pour ses fameuses scènes de bavardages fleuris entre truands.Guillaume Loison (Journaliste)