Très documenté article de Julien Léonard 2012
Moteur… Action !
Si ce n’est une adaptation télévisuelle sans grand intérêt de Casino Royale produite en 1954, et où l’on peut admirer Peter Lorre dans le rôle du Chiffre (5), James Bond n’intéresse pas outre mesure le milieu du cinéma. En 1959 toutefois, à la suite d’une mauvaise passade avec Kevin McClory (6), Fleming tente d’approcher Alfred Hitchcock pour lui vendre les droits de son personnage. Mais ces droits seront acquis par Harry Saltzman qui, voyant Albert R. Broccoli désirant ardemment lui racheter ces droits, décide de s’associer avec lui. Ils vont alors créer deux sociétés, Danjaq (7) et EON Productions (8). Rapidement, leur choix se porte sur l’adaptation d’Opération Tonnerre. Mais suite aux problèmes de droits rencontrés, ils portent finalement leur dévolu sur Dr. No. Il leur faut alors se donner les moyens de porter à l’écran ce premier film qui devra absolument décider de l’avenir du personnage au cinéma.
La plus importante difficulté fut de choisir l’acteur. Et sur cette question en particulier, la légende a fourni les histoires les plus cocasses. Disons simplement que, parmi les interprètes envisagés, Roger Moore et Patrick MacGoohan furent deux des noms prononcés les plus illustres. Mais le premier, sur le point de connaître un triomphe à la télévision dans le rôle de Simon Templar (Le Saint), est parait-il considéré comme trop jeune. Quant au deuxième, il refuse catégoriquement le rôle. Cary Grant est aussi évoqué, mais de façon très éphémère. Un acteur presque inconnu obtiendra finalement le rôle tant convoité : Sean Connery. Fils de routier, disposant d’un tempérament mal dégrossi, écossais et doté d’un fort accent de surcroit, l’acteur n’est pourtant pas vraiment prédisposé à interpréter le très élégant James Bond. Soutenu par l’enthousiasme de sa femme, Broccoli opère néanmoins rapidement ce choix, avec l’aval de Saltzman. « C’est comme demander à un petit garçon qui adore les voitures si il voulait qu’on lui offre une Jaguar. Lorsqu’on m’a proposé de jouer Bond, je n’ai pas dormi pendant des jours ! » (9) déclara Connery alors très heureux de faire partie intégrante et primordiale de l’aventure.
Refusé par plusieurs studios, le projet de Saltzman et Broccoli trouve finalement une réponse positive chez la United Artists. Le 20 juin 1961, le studio donne son accord pour commencer la préparation du film, ainsi qu’une enveloppe budgétaire assez limitée de 1,2 million de dollars. (10) Vétéran de la série B solidement emballée, Terence Young est désigné pour réaliser le film et commence alors à encadrer Sean Connery. Il fait de lui James Bond en travaillant ses attitudes, en discutant ses objectifs, en l’habillant et en le conseillant sur les manières à adopter. Le Bond de Connery est de fait presque autant la création de l’acteur que celle de son metteur en scène, ce dernier étant très investi dans la préparation de l’ensemble. Il apparait nettement que Young eut une grande importance dans le processus de création de l’identité de la saga telle qu’on la conçoit encore aujourd’hui, et avant tout sur le personnage lui-même. Il a beaucoup influencé Connery par son goût pour les bonnes choses, son éducation vis-à-vis de tout ce qui touche à l’élégance en général, ainsi que par une certaine notion du raffinement. Sa mise en scène dénuée de touche personnelle (tout sauf une création d’auteur à proprement parler) et sa redoutable approche débrouillarde du métier par des trucs et astuces très efficaces lors des tournages, lui ont permis de dominer la réalisation de Dr. No avec une très grande aisance. Dire qu’il était le metteur en scène rêvé pour lancer la saga relève de l’euphémisme. En bref, scénario écrit et équipes préparées, le tournage peut commencer le 16 janvier 1962 en Jamaïque, pour se terminer en Angleterre 58 jours plus tard, dans les studios de Pinewood. (11)