Bienvenue à San Fiasco
En règle générale, faire le malin peut se retourner contre soi.
“Ah quel dilemme ! : je ne sais pas si je vais emmener un pull, ça risque d’être excessif à San Diego ! Et au retour est ce que je vais me rappeler comment est la pluie !”. Ce genre de fanfaronnade en Février devant mes collègues en grosse laine qui se mouchent bruyamment en regardant la pluie glaciale couler sur les carreaux aurait du être évitée. Car deux mois plus tard, un petit pull m’aurait été bien utile à Bruxelles devant l’ambassade des Etats Unis sous une pluie fine.
Bref il ne faut pas avoir fait Math Sup pour savoir qu’avant de passer du stade de malin à malin et demi, il faut commencer par être la moitié d’un imbécile.
J ai été refusé à l embarquement à Bruxelles car mon passeport n’est pas valide pour les US : il n est pas biométrique. C’est à dire qu’il est “à l’ancienne”. Une photo collée et pas de puce. Emis en janvier 2006. A quelques mois près (quelques mois en 2005), il aurait pu être valide. Mais Sans Diego n’est pas la Martinique : le passeport n’est pas dans la bonne plage. A l’aéroport de Lyon, la tête est conforme à la photo du passeport pour les US mais à Bruxelles une heure plus tard, elle ne l’est plus.
Le coté positif c est que S. et les enfants peuvent embarquer.
Il était prévu de faire une surprise à 4 à l’arrivée. En fait de surprise, ce sera une surprise à 3. Mais à 3 ou à 4, la surprise reste la surprise.
Visiter l ambassade américaine à Bruxelles est un vrai régal : après un trajet en bus/train/métro, poser un pied (que dis je un orteil) sur le trottoir devant l’ambassade déclenche l’apparition de deux vigiles peu loquaces. Après une conversation courte, je repars avec une carte de “visite” pour rappeler plus tard. Par téléphone, le même renseignement coute 15E.
Enfin il est toujours rafraichissant d’apprendre une nouvelle blague belge.”Comment reconnait on un Français devant l’ambassade des US : il ne sait pas qu’on peut téléphoner pour avoir un rendez vous : euh euh euh.”
Mais le coté vraiment rassurant, c’est la rigueur de sécurité américaine. Elle n’acceptera pas de gugus avec un visa (ESTA) et un passeport valide jusqu’en 2016 mais pas biométrique. Car ce genre d’oiseau est l’un des plus sournois. Il faut tout de suite lui voler dans les plumes et l’empêcher de s’envoler. Certes il n’est pas trafiquant ou violeur, il n’a pas d’opinions politiques douteuses (ESTA). Mais il se cache derrière une photo non numérisée (et la chirurgie esthétique fait des merveilles). Une barbichette en moins des lunettes rectangulaires et pas rondes : les hiboux ne sont pas ce que l’on croit. La frontière américaine c’est “pas de ça chez nous !”. Avec le même passeport “non valide” et l’air « suspect », on peut aller au Québec. Mais là bas c’est différent, il y a la frontière et la frontière les protège. Comme d’ailleurs en France la frontière nous protège du nuage de Tchernobyl. L’autre enseignement c est qu’on fait plus facilement 10000 km avec une 4 L dans le désert (Camel Trophée) que par A330. Mais l’avion est toujours le moyen le plus sur de voyager.
La sécurité ça ne se discute pas. La sécurité à V. sur mon lieu de travail, c est la même boîte que la sécurité à Bruxelles (Securitas). Ca me rassure car bientôt on ne pourra plus passer le poste de garde non rasé du matin avec une photo papier en poche sur son permis ou un passeport.
Revenons aux conséquences de mon amateurisme.
Après mon passage sur le trottoir (un pied pas les deux !) de l’ambassade à Brussel, je mange un bout chez les “frères Giovanni”. Les “frères Giovanni” parlent moitié arabe moitié français moitié flamand (il faut savoir se démultiplier dans la restauration) autant dire qu’ils sont aussi frères qu’un breton de grande taille et un grand breton même de petite taille le sont. Manger une pizza belge, c’est se réchauffer (la liquette de Californie ne convient pas aux 4 degrés de Brussel et mes bagages sont dans l’avion) et étudier les plans (Plan A : j’essaye de repartir, Plant B : stop). Par soucis de passer la douane américaine au mieux, S et moi, avons mutualisé nos affaires dans la même valise : du coup j’ai pris un coup sur la tête, j’ai le cœur gros mais je suis “léger” avec en poche passeport carte bleue et téléphone. Pas de clé de maison à Lyon ni Paris. Ni de carte de train. Pas d’internet en itinérance. Léger quoi.
Un passeport ou un visa prend au moins 5 jours. A Paris ce sera peut être plus simple. Donc je prends un Thalys vers Paris (avec 2h de retard) qui coute la modique somme de 100e (325e pour Lyon). Les contrôleurs sont sympas : ils ne s’inquiètent pas des retards de trains et l’un d’eux me lance avec un sourire facétieux : “ah c’est chouette la Belgique !”
Arrivée à Paris, j’appelle ma mère et ma sœur pour récupérer un double de clé de l’appartement. TER + métro. Je passe la nuit en famille car La voiture ne démarre plus. Il est minuit en France, S. et les enfants viennent de poser le pied à Los Angeles : ils n’ont mis que 45 mn à sortir de l’avion, récupérer les bagages et passer la douane ! Il ne fallait pas en faire toute une histoire.
La surprise a été réussie à l’arrivée. Une seule personne s’est douté de quelque chose et c’est très fort car pour se douter qu’on ferait la surprise de venir à 4 mais qu’en fait on ne viendrait qu’à 3, en envoyant un message à 4 de Bruxelles, il faut vraiment un sixième voir un septième sens.
Je m’endors. Le lendemain la voiture marche : il suffit de prendre la bonne clé et pas le double avec la pile épuisée. Je passe à l’appartement pour changer de liquette (mettre un pull!) et prendre le train pour Lyon. Et refaire un double de la carte de réduction. Là, je passe chez la voisine pour récupérer un double de clé de la maison. Sympathiquement, elle a préparé une gamelle (pas celle des toutous qu’ elle nourrit et promène en notre absence).
En deux jours, je fais Lyon-Bruxelles-Paris-Mantes-Saint Remy-Lyon-Villars Les Dombes pour une somme rondelette. On peut nettement faire mieux. Une partie de la journée est passée à remplir des dossiers. Les assurances « couvrent » des cas farfelus mais pas ce genre de cas de figure. Heureusement il reste le cas « n’a pas pu embarquer à cause de autre ». Double satisfaction : 1/ je suis dans le cas « autre » et 2/ ma requête qui a été bien reçu sera étudiée dans 5 semaines au mieux.
Retour à Massy le lendemain.
Revenir au travail alors qu’on est censé être en vacance ressemble à quitter le bureau en plein après midi : la discrétion n est pas garantie. A peine le pied posé sur la moquette un peu salie du couloir, impossible de ne pas croiser un collègue. Quand on fait un départ en fanfare du boulot, qu’on est jeté de l’ambassade au son du clairon, il y est difficile de ne pas faire une arrivée tonitruante. Même pour les collègues préoccupés par leurs soucis, ça fait un ragot. Les réactions varient entre “salut, déjà rentré ?” à “qu’est ce que tu fais là ?”. Quelques farfelus demandent “quel jour on est ?” et d’autres regardent leur montre comme si elle s’était arrêtée depuis plusieurs jours. En rentrant dans le bureau c’est l’avalanche de questions. Ceci dit, on est vendredi et il fait beau. Certains chantent “la californie” les autres écoutent avec délectation en rond cette anecdote qui tourne en boucle. Il ne manque plus que la mandoline et le feu de bois.
Les réactions oscillent entre “ah ca c’est bête ” en passant par “t’aurais du me demander”, “ah ben oui c’est évident !, pourquoi tu ne l’as pas fait ?”. Une collègue est presque aussi abattue que si c est elle qu’on avait refusé à l’embarquement. Un autre m’envoie le lien avec les infos de l ambassade américaine. Un chef “ben je ne me souviens pas, je l’ai changé 3 fois en 10 ans, j’avais rempli toutes les feuilles”. Néanmoins derrière certains écrans on en voit qui regardent discrètement leur passeport (comme si un « securitas » allait s’abattre sur eux) puis brandissent le petit livret avec soulagement : il est bon !
En envoyant ces lignes, je reçois des messages de San Diego. Tout va bien. A San Diego il est l’heure de se coucher tandis qu’à San Fiasco il faut déjà se lever.